De l’exagération qualificative

Exagérer dans le degré d’un adjectif autrement dit qualifier avec exagération, est une tendance tout à fait inconsciente chez beaucoup de parleurs, qui s’accentue d’année en année. Même chose pour le choix des adverbes.

Dans la vie quotidienne, nous avions l’habitude d’entendre du « trop »  Et encore aujourd’hui, sorti de nulle part, du « grave » pour dire simplement « oui ».

Mais ce qui pollue aujourd’hui – particulièrement à la radio – est l’utilisation de qualificatifs inadaptés au degré de l’idée ou du sentiment, du contexte, du fait en lui-même. À « l’intensité du sens » si l’on peut dire.

Une surenchère émotionnelle

Par intérêt sensationnel de la part des articles « putaclic », ou bien dans des articles de journaux traditionnels, dans des interviews, dans des échanges, et quel que soit le média, on assiste à une sorte de surenchère sans limite (et sans scrupules pour les rédacteurs des titres de presse en ligne).

En réalité, on peut identifier deux niveaux :

  • les titres racoleurs qui vont exagérer l’adjectif pour attirer, de manière intentionnelle ;
  • les propos et expressions libres, souvent oraux (notamment à la radio) où l’utilisation d’un adjectif « surperfétatoire » va se retrouver soudain, de manière anachronique, dans une phrase tout à fait banale, au sujet d’un fait ordinaire.

« 7 minutes de terreur. »

Je veux bien que les ingénieurs de la Nasa aient été pour le moins très très tendus, voire angoissés, au moment de cet atterrissage, mais de là à vivre dans la terreur… Comment alors ces journalistes qualifieraient les situations humaines réellement confrontées à de l’effroi, à de la frayeur ?

Le second niveau (audio) est une manie qui s’est installée peu à peu, avec d’abord le terme « extraordinaire » utilisé à tout bout de champ et pour des broutilles. Je me demande bien alors quel adjectif serait utilisé pour quelque chose qui sortirait RÉÈLLEMENT de l’ordinaire.

On est passé de « chouette » à « super », puis de « mega » à « hyper ».

Ce « hyper » par exemple entendu l’autre jour dans la bouche de la secrétaire d’État chargée de la jeunesse et de l’Engagement. Je ne savais pas encore qui elle était, alors que je zappais sur une radio où elle était interviewée. J’ai cru, à sa voix et son phrasé, avoir affaire à une ado. Je n’ai pas retenu grand-chose, mes oreilles n’étant pas habituées à un débit si rapide. Mais j’ai carrément éteint lorsque celles-ci (mes oreilles) ont entendu « …et les engagements sont hyper divers ».

Un simple « très divers » aurait suffit. Mais non, il faut toujours en rajouter une couche. Quel dommage de gâcher une langue si belle.

À entendre des chapelets d’adjectifs plus forts les uns que les autres : « hyper horrible », « scandaleux », « infernale », « atroce« , pour décrire des situations toutes simples comme par exemple quelques heures coincés dans un train à l’arrêt ou 24h dans un aéroport. On s’attendrait à un « c’était long », au pire à un « c’était un peu pénible ».
L’adjectif « atroce », notamment, se banalise pour un oui ou pour un nom.

En 2012, à propos d’une série de matches de football, Didier Deschamps résume l’affaire par un « mettre fin à une série atroce » : https://www.maritima.info/depeches/om/marseille/13097/om-nancy-la-fin-d-une-serie-atroce-.html (dépressifs, passez votre chemin).

En nivelant tout degré au même niveau, que deviennent les vraies horreurs… le vécu des quelques rescapés de camps de la mort ou autre internement avec tortures ou massacres ? Car si le fait d’être coincés dans des bouchons ou dans un train durant 5 heures est qualifié d’atroce par certains, quel adjectif leur serait venu s’ils étaient passés par Birkenau…

50 nuances de qualificatifs

Tout comme il y a deux poids deux mesures, il existe des variétés d’adjectifs précis. La langue française est extrêmement riche et l’on peut y trouver les mots justes – l’adjectif qui convient en l’occurrence. De quoi raison garder.

Mais il semble que l’on se sache plus évaluer l’intensité d’un ressenti pour le marier avec le qualificatif adéquat qui transmettra au mieux le degré d’intensité par rapport à un contexte, à un moment vécu… On ne sait plus ou bien on ne veut plus faire l’effort de chercher : par manque de temps ? par manque de vocabulaire ?


Goody
Concernant un qualificatif de l’extrême, c’est quand même le personnage de Mary Poppins qui en parle le mieux :
Supercalifragilisticexpidélilicieux (en français)
Supercalifragilisticexpialidocious (en anglais)
Mais je ne l’ai pas trouvé dans le dictionnaire de la langue française.

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